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Dialoguer : de la difficulté d’être deux


D’après le philosophe Emmanuel Levinas, « Tu ne tueras point » est le commandement qui me retient d’agresser ce visage-là face à moi, dans sa nudité et sa vulnérabilité offertes. Le visage d’un autre, avant même sa parole, disant toute son étrangeté, son potentiel d’agacement, de rejet, de beauté, de différence.

Dans un dialogue, nous sommes traversés d’émotions d’une puissance et d’une variété que nous nous taisons à nous-mêmes, mais que l’autre lit. Les travaux de Hall démontrent que nous lisons sur le visage 70 % des informations sur l’autre, son état, la réalité de la congruence entre ce qu’il dit et ce qu’il est.

Une série américaine « Lie To me » s’en est fait le promoteur. Un scientifique participe à des enquêtes. Il est capable d’identifier les émotions trahissant la vérité des suspects sur leur visage à partir de micro-détails d’expression de celui-ci. Science nécessitant malgré tout une vue globale de la situation pour éviter les rares erreurs d’interprétation.

Pendant le dialogue, être à l’écoute de ce que l’on ressent est un guide de ce qui est en enjeu en parallèle de la conversation du dire des mots.

Faire fi de ses propres émotions n’est pas sans risque : être en désaccord avec soi-même, ne pas être capable de respecter son engagement, s’illusionner sur la vérité rassurante de la raison (ce qui ne signifie pas non plus que l’intelligence émotionnelle vaut pour vérité), prendre une décision « objective » alors que l’on s’est coupé de soi.

Dans un dialogue, l’étouffement de cette grille de lecture joue des tours, à soi, à l’autre, au devenir inédit du dialogue.

Oui, reconnaissons-le, dans un dialogue, l’autre me choque, me dérange, me heurte, me fait sourire, me met en joie, me fait peur, me dégoûte, m’étouffe, me séduit, me taquine, me marque son affection…

Que faisons-nous de ces informations capitales ? Souvent pas grand-chose. Ou si, pour prendre le pouvoir sur l’autre. Mais là il ne s’agit plus de dialogue mais de prédation.

Ce qui fait dialogue : le « bougé » commun de je & tu dans leurs opinions, leurs perceptions, leurs raisonnements.

Cela semble peu. Cela change tout. Un petit manque de reconnaissance de ses émotions et le dialogue perd de son efficience.

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